Technique Chopinienne


À partir de son arrivée à Paris, Chopin consacrera une partie importante de sa vie artistique à l'enseignement. Sa vision du piano est une synthèse d'éléments provenant d'une part de Mozart et de l'autre de compositeurs et pianistes tels que John Field et Hummel. Sa perception du piano était très personnelle si l'on considère que son premier professeur, Zwyny, était avant tout un violoniste qui donnait des cours de piano.

 

Au long de sa vie pédagogique, Chopin a eu une grande quantité d'élèves. Il a même eu l'idée d'élaborer une Méthode de piano. Nous n'en conservons que des esquisses qui sont d'une grande importance pour comprendre sa façon de concevoir le piano. Ce document révèle que Chopin a eu des élèves de tous les niveaux, débutants comme avancés car il mentionne des notions telles que la relation d'équivalences de valeurs de notes à partir de la ronde jusqu'à la triple-croche ainsi qu'une liste de tonalités majeures et mineures avec leurs armures correspondantes.

 

On y trouve aussi des concepts polyvalents comme la position de la main.

Voici une citation intéressante:

 

On se place (de manière) à pouvoir atteindre les deux bouts du clavier sans pencher d'aucun côté. Le pied droit sur la grande pédale sans jouer les étouffoirs.

 

 

          On trouve la position de la main en plaçant les doigts sur les touches mi, fa#,sol#la#si: les doigts longs occuperont les touches hautes et les doigts courts les touches basses. Il faut placer les doigts qui occupent les touches hautes sur une même ligne et ceux qui occupent les blanches de même, pour rendre les leviers relativement égaux, ce qui donnera à la main une courbe qui donne une souplesse nécessaire qu'elle ne pourrait avoir avec les doigts étendus. La main souple: le poignet, l'avant-bras, le bras, tout suivra la main selon l'ordre.

 

 

 

 

Comme nous pouvons constater, cette vision est tout à fait révolutionnaire par rapport à la position traditionnelle do-ré-mi-fa-sol. Nous pouvons voir clairement que Chopin considérait le troisième doigt comme le centre de la main sur lequel reposait l'équilibre essentiel pour un jeu détendu tout en s'appuyant du deuxième et du quatrième. Aussi il mentionne que le coude doit être "au niveau des touches blanches, la main ni dedans ni dehors. Il propose aussi des exercices d'arpèges sur l'accord do-mib-fa#-la-do pour améliorer le passage du pouce en gardant toujours "le coude au niveaux des touches hautes" et la main centrée en évitant de la placer vers la droite ou vers la gauche.

 

La technique de Chopin réfutait le concept de l'égalité des doigts en mentionnant que chaque doigt avait son rôle et que le contraire était que de cherche "à détruire le charme du toucher spécial de chaque doigt".  Il prône aussi que "tout est de bien doigter". Pour lui, même le poignet est la "respiration dans la voix", ce que l'on voit dans le jeu de pianistes comme Arthur Rubinstein.

 

Il reste que d'après le musicologue Jean-Jacques Eigeldinger spécialisé dans la musique de Chopin, ces "esquisses pour une Méthode pour piano sont un pâle reflet, à peine ébauché, de l'enseignement pratiqué tout au long de son professorat". 

 

Nous devons mentionner que selon les témoignages de l'époque, Chopin avait une attitude totalement différente vis à vis l'improvisation et l'oeuvre écrite dans laquelle son perfectionnisme était pratiquement obsessionnel, ce qui explique probablement le fait que la Méthode soit demeurée inachevée. On peut aussi ajouter à cela que Chopin était bien plus à l'aise en polonais qu'en français et que ses rédactions entraînaient un lourd effort pour exprimer ses pensées.

 

Au-delà de cette Méthode inachevée, nous pouvons nous remettre au livre "Chopin vu par ses élèves" de Jean-Jacques Eigeldinger où nous trouvons un précieux recueil de réminiscences des principaux élèves et contemporains de Chopin. Dans ce livre, son élève Mikuli mentionne dans ces commentaires que Chopin "jouait avec un toucher délicat, évitant les accents intenses et criards. Il n'éblouissait jamais par la technique[…] Il ne supportait pas le son trop intense du piano, qu'il appelait un "aboiement de chien"." Sa spécialité était les sonorités voilées et particulièrement les pianissimo où chaque note avait "la clarté d'une clochette". Sa sonorité legato était comparable à celle du violon ou du chant. "Caressez la note, ne la heurtez jamais!" disait Chopin "Il faut sentir la note plutôt que de la frapper".Tellefsen, reprend une idée de Chopin dans son traité "La main doit trouver son point d'appui sur le clavier comme les pieds le trouve sur le sol en marchant.", ce qui fait état du naturel dans la technique de Chopin.

  

Nous nous devons de mentionner les éléments d'écriture caractéristiques de Chopin au piano qui sont particulièrement présents dans ses études op. 10 et op. 25. Ce recueil est le premier amalgame idéal entre des exercices pédagogique et une expression musicale.  Le sens de l'équilibre de la main, l'indépendance des doigts, la polyphonie, la mélodie bien chantée, la souplesse des poignets et des coudes, la clarté de la pédale, la légèreté, et le sens dramatique tout en gardant une élégance dans la sonorité.

 

Pour conclure, nous pouvons dire que l'approche pianistique de l'oeuvre de Chopin dans son ensemble est tout à fait novatrice et personnelle par rapport aux langages précédents. Tout en mettant de l'avant la beauté du son du piano, nous trouvons chez Chopin une riche polyvalence dans son style autant par des mélodies accompagnées dans le sens du bel-canto italien de Bellini (comme dans le nocturne op. 9 no. 2 par exemple),  par l'usage de la polyphonie (impromptu no. 2), d'une virtuosité fougueuse (étude révolutionnaire op. 10 no. 12) de l'intimité aristocratique (valse no. 9), de la musique pour la musique (préludes) ou de la musique inspirée par des concepts poétiques (ballade no. 1). Le rubato et l'improvisation (concerto no. 2, 2e mouvement) se combinent dans son oeuvre avec des passages de richesse presque orchestrale (fin de la ballade no. 3). Le caractère cosmopolite (nocturne op. 48 no 2) se mélange avec les influences nationalistes (mazurkas). La musique de Chopin exploite énormément de sonorités où le piano reste roi à tout moment.


Chopin et ses élèves

Saviez-vous que Chopin interdisait à ces élèves de travailler au-delà de trois heures par jour et qu'il déconseillait que l'on voit les exercices comme un travail purement mécanique ?

 

"Caressez la note, ne la heurtez jamais!

"Il faut sentir la note plutôt que de la frapper"

"Ayez le corps souple jusqu'au bout des pieds!

"Facilement, facilement" répétait-il constamment, révélant son intérêt particulier pour la souplesse.

 

Il avait souvent l'habitude de jouer devant ses élèves. Il lui arrivait d'ailleurs de faire des démonstrations radicalement différentes, ce qui témoignait du sens spontané qu'il recherchait dans ses oeuvres. Il faisait de la pédale un art : "C'est avec la plus grande économie qu'il faut user de la pédale" et n'utilisait la pédale douce que pour des effets très spécifiques : "Apprenez à diminuer sans le secours de la pédale una corda".